
Thème
Vigny nous montre la solitude et l'inadaptation foncière du vrai poète. La vie moderne transforme ce génie en paria et s'il veut subsister, il doit accepter des fonctions utilitaires qui le détournent de sa mission. L'orgueilleux Chatterton refuse tout compromis et dès lors, il n’a pas d'autre issue que le suicide. En peignant la détresse de son héros, Vigny veut attirer l'attention des pouvoirs publics sur les droits méconnus de la Poésie. Stello était déjà un réquisitoire contre la société, une mise en garde à l'adresse du poète candide ; Chatterton est plutôt un plaidoyer pour le poète, une mise en demeure à l'adresse de la société indifférente : "Quelques vers suffisent à faire reconnaître les grands poètes de leur vivant, si l'on savait y regarder". Chatterton est un drame de la pensée par lequel Vigny demande que la société prenne en charge dès leurs débuts le petit nombre de poètes qui donnent des preuves de leur génie sans préciser comment les choisir. Chatterton est également un drame d'amour qui repose dans le mystérieux amour de Chatterton pour Kitty, un amour qui se devine toujours mais qui ne se dit jamais. La pièce est romantique par la thèse qu'elle soutient, pourtant sa formule dramatique se rapproche de l'art classique. Kitty Bell est digne des pures héroïnes de Racine.
Le
destin d'un jeune poète : Chatterton.
Acte
1. John Bell ou la dureté des puissants.
John Bell, riche industriel de Londres, est un patron autoritaire
et un époux tyrannique : il refuse de reprendre un ouvrier qui
s'est rompu le bras dans une de ses machines et brusque sa femme, la mélancolique
et douce Kitty, pour une erreur relevée dans son livre de
comptes. Chatterton, un jeune poète sans fortune, a loué
chez lui une modeste chambre; il s'entretient avec son ami le quaker,
un familier de la maison, et, dans une profession de foi, oppose au matérialisme
prosaïque de John Bell son idéalisme exalté. Il souffre
de se sentir incompris et envisage le suicide comme une délivrance.
Acte II. Kitty Bell ou la pitié de la femme.
Au cours d'une promenade avec le quaker, Chatterton a croisé
Lord Talbot et quelques jeunes nobles, ses anciens compagnons d'Oxford.
Les voici justement chez John Bel : Lord Talbot signale la noble origine
de son locataire, le bruit qu'a fait la publication de ses poèmes
; il ajoute des allusions impertinentes à l'intimité qu'il
croit deviner entre le jeune poète et la femme de son hôte.
Après le départ des visiteurs, Kitty Bell se plaint au quaker
de leur attitude et lui avoue que la vue de Chatterton suffit à
l'émouvoir. Le quaker lui révèle le mal qui ronge
le jeune homme. Chatterton, cependant, s'est résolu à écrire
une lettre au lord-maire pour obtenir un emploi ; il attend anxieusement
la réponse.
Acte III. Chatterton ou la misère du génie.
Chatterton, seul dans sa chambre froide médite et écrit.
Il se lance dans une diatribe contre la société qui oblige
le poète à quémander des emplois. Au moment où
il va avaler de l'opium, le quaker l'arrête et lui révèle
l'amour de Kitty. Il renaît pour un moment à l'espoir.
Mais bientôt, il apprend coup sur coup qu'un créancier veut
le faire arrêter, qu'un critique l'accuse de plagiat et que le lord-maire
lui offre un emploi humiliant de valet. Il boit alors le poison.
Kitty, qu'agite un obscur pressentiment, lui arrache le secret de son
amour. Il tombe dans les bras du quaker ; et Kitty ne peut lui survivre.
Extraits
A quoi sert le poète ?
Acte III scène 6
M. Beckford : John Bell, n'avez-vous pas chez vous un jeune homme
nommé Chatterton, pour qui j'ai voulu venir moi-même ?
Chatterton : c'est moi, milord, qui vous ai écrit.
M. Beckford : Ah ! c'est vous mon cher ! Venez donc ici un peu,
que je vois voie en face. J'ai connu votre père, un digne homme
s'il en fut ; un pauvre soldat, mais qui avait bravement fait son chemin.
Ah ! c'est vous qui êtes Thomas Chatterton ? Vous vous amusez à
faire des vers, mon petit ami ; c'est bon pour une fois, mais il ne faut
pas continuer. Il n'y a personne qui n'ait eu cette fantaisie. Hé
! hé ! j'ai fait comme vous dans mon printemps, et jamais Littleton,
Swift et Wilkes n'ont écrit pour les belles dames des vers plus
galants et plus badins que les miens.
Chatterton : je n'en doute pas milord.
M. Beckford : Mais je ne donnais aux Muses que le temps perdu.
Je savais bien ce qu'en dit Ben Johnson : que la plus belle Muse au monde
ne peut suffire à nourrir son homme, et qu'il faut avoir ces demoiselles-là
pour maîtresses, mais jamais pour femmes. (rires).../...
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